Ils nous ont quittés

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 posté par MC Jean Gab1 : 
Maurice Garrel le magnifique a disparu
Le 6 juin 2011 à 11h30

LE FIL CINÉMA - Il voyait les acteurs comme des artistes sans talent, lui qui en débordait. A l'origine d'une lignée d'enfants du cinéma, de Philippe, son fils à Louis, son petit-fils, Maurice Garrel a marqué la scène, le petit et le grand écran par une exigence aussi grande que sa discrétion.

Visage de moine soldat - creusé, saharien. Voix de haute solitude. Jeu du tréfonds. Maurice Garrel gravait de son empreinte chaque film ou pièce dans lequel il veillait. Comme une sentinelle, extraordinairement présente quoique discrète, en retrait. « Sur scène, c’est lui qui donnait le la profond à la pièce » disait le metteur en scène Jacques Lassalle. Et sur le petit écran, il était l’un de ses seconds rôles qui ont marqué plusieurs générations. Son nom n’était pas si connu, mais son visage d’acteur fin de race était familier. Il s’est éteint samedi 4 juin, à l’âge de 88 ans.

« Nous perdons un comédien singulier (...). Il donnait toute la mesure de son si grand talent dans des rôles de patriarche où il promenait sa silhouette désabusée avec des éclairs d’ironie dans le regard » a annoncé le ministre de la Culture. Pour une fois, un communiqué officiel tombe à peu près juste. Il faut dire que pour l’ancien exploitant des salles Olympic à Paris qu’est Frédéric Miterrand, Maurice Garrel, ça représente forcément quelque chose. Rien de moins que l’origine, la source d’une belle lignée d’artistes, avec pour fils, le cinéaste Philippe Garrel, et pour petit-fils, le comédien Louis Garrel. Mais Maurice Garrel était surtout un homme qui forçait le respect pour son destin aussi exceptionnel qu’ignoré.

Gène de l'anticonformisme

Sa vie, traversée du siècle, tient du roman. A 4 ans, il part avec sa mère institutrice pour Mazagan, le Deauville marocain. Il passe son enfance à cheval et choisit ses copains parmi les Arabes « Ils nageaient, couraient divinement, repéraient un chacal ou un lièvre à des centaines de mètres. Je les trouvais supérieurs » nous confiait-il en 2005. Bien que le protectorat marocain soit moins dur que l’Algérie coloniale, la hiérarchie des races y pèse bel et bien, avec en bas de l’échelle, les Portugais, les Arabes et les Juifs. Très tôt, Maurice s’insurge contre cette injustice et clame à qui veut l’entendre, au cours des grandes tablées familiales, qu’il ne fait pas de différence. Ce gène de l’anticonformisme, ce mépris pour toute forme de notabilité, ne le quittera plus. Dans son lycée marocain, il apprend l’arabe – langue qui a forgé son gosier pour toujours. Et s’enflamme pour la philosophie en écoutant le cours de l’éminent Pierre Boutang, grand lecteur des mystiques.

Arrive le temps de la mobilisation. On le sait peu - il n’était pas du genre à s’en vanter - mais Maurice Garrel a été un soldat honoré pour son courage exemplaire (médaille militaire, décernée fin 44), ayant affronté à la mitrailleuse lourde un régiment allemand et fait 130 prisonniers – à deux seulement, en compagnie d’un sous-officier ! Cette guerre, qui sera plus tard un thème si obsédant dans le cinéma de son fils Philippe, il la mène lors de la campagne d’Italie, comme motard de liaison, entre les Américains et l’armée du général de Lattre. Avec sous ses ordres, Michel Jobert, un homme qu’il aimait louer, au-delà de leur divergence politique.

C’est à la guerre curieusement qu’il se découvre un talent contre-toute attente... comique : en jouant le soir, pour distraire ses camarades, un soldat mou, à la Jean Tissier. Après la Libération, sa décision est prise : il sera comédien. Il suit les cours de Charles Dullin puis très vite tourne en province, dans des registres plutôt comiques. Mais à part chez Georges Vitaly, il ne trouve pas chaussure à son pied, regrettant de ne pas être à Londres où l’on peut jouir d’être à la fois acteur comique et dramatique. On le retrouve dès lors dans des pièces plus graves de Claudel, Brecht ou Adamov. Il côtoie Laurent Terzieff, fait de la mise en scène avec lui. Il enseigne aussi l’improvisation chez Tania Balachova, décomplexant Michael Lonsdale ou Jean-Louis Trintignant. Puis il travaille pour des metteurs en scène exigeants, Jean-Marie Serreau et Roger Blin hier, plus récemment, Jacques Lassalle, Klaus Michael Gruber, Dominique Féret (De Gaulle).

Théâtre pur

Un grand homme de théâtre ? Il n’aurait guère apprécié le compliment, lui qui n’était absolument pas dans le culte de cet art. Au contraire : il trouvait qu’il y avait « quelque chose d’indécent à se montrer sur scène. » Aussi a-t-il obliqué un moment vers les marionnettes, en intégrant la troupe pionnière de Gaston Baty. Il joue Faust en Allemagne ou, seul, Guignol, au jardin des Tuileries. C’est à lui et à Alain Recoing qu’on doit Martin-Martine, émission novatrice de marionnette à la télévision. Il s’accomplit alors dans ce monde, en tirant les fils, en manipulant dans l’ombre, rejoignant une forme de théâtre pur.

La pureté, le dépouillement, l’ascèse, voilà ce qu’il vise. Il refuse beaucoup de rôles, n’accepte que ceux qui lui paraissent dignes, au risque de vivre pauvrement. Il participe au premier café-théâtre de Paris, avec Fernand Berset. A l’heure des grandes dramatiques de la télévision, il répond présent. Puis repart encore ailleurs, dans d’autres expériences, refusant d’être un acteur installé. Il met un moment le pied dans le cinéma. Pierre Kast (Drôle de Jeu), Jacques Doniol-Valcroze (La Maison des Bories) Chabrol (Nada) lui donnent de beaux rôles. Plus tard, ce sera Claude Sautet (Un cœur en hiver).

Aux yeux des cinéphiles, il incarne surtout le père par excellence, à travers les films à forte teneur autobiographique de Philippe Garrel. Etrange relation que la leur, rapport fusionnel ou inversé – c’est Maurice qui pousse son fils à s’émanciper tout en collaborant à ses premiers scénarios, c’est Philippe qui fait venir son père dans son cinéma et qui le protège comme un fils, etc. Les fragilités et les tourments de l’un semblent déteindre sur l’autre. Les délires de persécution, la drogue, les électrochocs, tout cela Philippe l’a raconté lui même dans ses films. Et Maurice ? Une noirceur, confinant à la haine de soi, l’habite aussi, consécutive à la mort de son propre père, qui lui avait été cachée de 4 à 7 ans. De là sans doute ce sentiment de baume et de transparence poétique dans le cinéma de Philippe Garrel, particulièrement celui où Maurice Garrel occupe une place de choix (Liberté la Nuit).

« Un acteur, c’est celui qui a un tempérament d’artiste, mais qui n’a pas de talent » tranchait-il. Il aurait préféré être peintre, philosophe, écrivain (il avait le physique de Roger Vailland). Ce n’est pas un hasard si les deux personnages de lui qui ont marqué le plus le public touchent à la littérature. Celui de l’éditeur manipulateur qui pousse Fabrice Luchini à écrire, dans La Discrète (1990). Ou celui de l’écrivain malade, rongé par un cancer, père particulièrement cruel d’Emmanuelle Devos dans Rois et reine (2005) de Desplechin.

Fin 2009, on l’a encore vu dans L’homme à l’envers de Josée Dayan, en berger taiseux, vieillard magnifique. « Magnifique » est un mot qu’il utilisait pour qualifier les rares personnes qui trouvaient grâce à ses yeux - Michel Piccoli, Eric Caravaca, les épiciers arabes près de chez lui, à Montrouge. Jusqu’au bout, il a été d’une beauté intraitable. Pour sa mort, aucune célébration, pas d’inhumation, ni d’incinération : il avait décidé de faire don de son corps à la science.

Jacques Morice, Télérama



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